La marge nourrit la norme et la transforme.
Claude Chalaguier
Le Quai, Angers (France).
Écrire, c’est avoir le souci de confronter sa plume à la complexité des connaissances. Et questionner tout ce qui, hors champ de la littérature, vient l’enrichir, la menacer, la déplier. En d’autres termes, tout sujet apparaissant comme « non littéraire » fait littérature. Et le devoir de l’écrivain est d’aller titiller ces terrains inexplorés, parce que pas assez nobles, banals parfois, techniques souvent.
Pas besoin d’aller chercher loin. Pas besoin de voyager quatre-vingts jours autour de la Terre, ni d’imaginer une fiction pour écrire. Participer suffit. Par exemple répondre positivement à l’invitation du Collectif des médiateurs jeune public des Pays de la Loire, et être missionné pour témoigner d’une formation « Médiation et situation de handicap », ayant pour thème : DE L’ACCUEIL A LA PRATIQUE, COMMENT SE RENDRE ACCESSIBLE ?1.
Tu leur as proposé.
Aux 60 stagiaires.
De faire récit.
De leur formation.
Faire récit de leur situation.
De formés et de déformés.
Te voilà bien embêté.
Avec les voix des uns et des autres.
Sans compter la tienne.
Ces multiples chants.
Feront-ils langue ?
L’AUTRE
On part toujours d’un bon sentiment.
Mais parfois on est à côté de la plaque.
Être en relation.
Avec une personne en situation de handicap.
Est-ce une relation singulière ?
Il en va de l’attention.
À ses désirs et besoins.
Un travail de l’altérité.
Tel l’humain au travail.
*
On n’aura jamais les sensations des autres.
La question fondamentale restera toujours.
Que veut la personne ?
Faut pas attendre.
Que la personne handicapée.
Dise : « J’ai besoin de ça. »
Faut que ça soit automatique.
Anticiper le besoin.
Que ce soit naturel.
*
Poser des questions.
Jamais imposer.
Ne pas penser à sa place.
Utiliser des termes concrets.
« Est-ce que je vous accompagne ? »
Prioritairement.
Adapter nos établissements.
Et nos saisons culturelles.
À tous publics.
Tester soi-même.
L’accès de l’établissement.
Se rendre par exemple aux toilettes.
La porte peut-elle s’ouvrir aisément.
Pour donner accès à ces lieux d’aisance ?
*
L’accès au Quai.
S’y déplacer.
Arpenter ses multiples salles.
S’y sentir libre.
Comme si le Quai, immense bâtiment.
Avait été choisi comme terrain propice d’expérience.
Le Quai c’est cool.
Y a plein plein de trucs.
Mais il manque des choses.
On se rend compte que c’est rien.
Sans l’aspect humain.
FALC
Tu te souviens.
De ta première visite.
À la compagnie l’Oiseau-Mouche.
Les artistes en situation de handicap mental.
Déchiffraient avec joie.
Un livre de Jean-Paul Sartre.
Le même livre que tu n’avais jamais su lire.
*
La pensée complexe.
Est ce qui nous fait homme-femme-autre.
Par notre capacité à relier.
Ce qui n’est pas reliable.
La pensée complexe.
Fait boucle entre.
La pensée rouge.
La pensée orange.
La pensée jaune.
La pensée verte.
La pensée jaune.
La pensée indigo.
La pensée violette.
Séparer les couleurs.
Au risque de voir disparaître l’arc-en-ciel.
Est-ce faciliter la lecture du monde ?
Un texte de plaquette comme…
« La scène défie ici nos acrobates. Projectiles jetés aléatoirement des dessus de scènes pour devenir un véritable champ de bataille. Ces perturbateurs provoquent de nombreuses situations à risque et conduisent les corps à adopter diverses réactions physiques extrêmes. L’acrobatie comme forme de résilience. »
… devient, en FALC – Facile à lire et à comprendre :
« Il y a 5 artistes sur scènes. Ils vont être bousculés par des objets du décor. Les objets tombent et font tomber les artistes. »
La réinterprétation d’un texte en FALC.
N’enlève-t-elle pas du tissage.
À la pensée ?
Si l’enchevêtrement d’entrelacements fait peur.
Est-ce encore une pratique inclusive ?
*
Alors.
Document FALC à part ?
Document FALC intégré ?
Difficile de penser FALC.
En excluant une façon de penser.
Pour en inclure une autre.
Et si le texte FALC ponctuait le texte original.
Le soulignait en y ajoutant une variation.
Sans le faire disparaître ?
Pour une approche inclusive du FALC.
Voir la danse sans la voir.
Parce qu’on est non-voyant.
En voilà une chimère.
C’est oublier.
Le son des corps.
Sur le sol.
C’est oublier.
Le souffle.
Des danseurs.
C’est oublier.
L’ambiance.
De la salle.
Alors je propose aux non-voyant.
D’enlever leur casque d’audiodescription.
Et d’entendre la danse.
*
Un aveugle qui parle à un voyant.
C’est vraiment un dialogue de sourds.
Je propose aux non-voyants.
De produire leur propre image mentale.
Avant le spectacle.
Les non-voyants dansent les gestes.
Qui vont être audiodécrits.
Les petits pas épuisés de May B.
Ils les font, je les décris.
Les costumes de May B sont des pyjamas du coton suranné.
Les non-voyants les « voient » par palpation.
*
May B parle-t-il de gens.
Qui partent sur les routes des migrants ?
Oui.
Maguy (Marin) m’a dit :
« Ne parle pas de ça ».
Il y autant d’images mentales.
Que de non-voyants qui écoutent.
Je dois oublier mes propres images mentales.
Pour laisser émerger les leurs.
On appelle ça.
L’audiodescription.
HÉSITATIONS
L’atelier audiodescription ?
Un peu perdue face à un monstre de culture en danse.
Pas assez d’exemples.
Pas assez de méthodologie.
Pas assez de.
Trop de.
*
Trop axé.
Sur la déficience visuelle.
*
J’aurais voulu faire l’atelier FALC.
Pour passer par du concret.
Mais j’étais aussi intéressée de passer.
Par l’atelier audiodescription.
ATELIER DE DANSE
(avec des non-voyants)
J’ai choisi cet atelier.
Pour des raisons personnelles.
À la base.
En tout cas.
Parce que ça faisait des correspondances.
Avec mon activité personnelle de plasticienne.
Je fais des œuvres les yeux fermés.
– – – – – – – – – – – – –
Et puis après il y a eu le spectacle.
Et là y a eu le spectacle.
Le ?
Le.
…
– – – – – – – – – – – – –
Le soir du spectacle.
J’ai eu du mal à dormir.
Dans le bord de scène.
J’ai voulu intervenir.
Mais je me suis retenu.
La barrière.
La pudeur.
J’écoute.
Je prends.
LA FORMATION ?
Un menu avec entrée.
Puis les ingrédients.
Et tous les possibles.
Belle entrée au départ.
On est parti à une voix.
On a fini à plusieurs voix.
Durant les deux premières heures, on a posé les fondations,
Les bases de notre construction professionnelle adaptée.
*
Je suis touchée par notre volonté.
D’adapter nos établissements et saisons culturelles.
Pour tous les publics.
Je ferai de nombreux retours.
À mes six collègues.
À l’accueil de la Maison de l’Autonomie.
*
L’impression d’avoir suivi
Une formation « Marina intégrale ».
Une personne incroyable.
Qui rend les choses tout de suite.
Faciles à comprendre.
Je me suis dit : « Elle va plaire.
À mon équipe du conservatoire.
Avec son mantra Une chose après l’autre ».
Ces opérations-là permettraient à mon conservatoire.
De rendre tout facile pour le public.
(Et pour nous aussi).
NON VRAIMENT
Je n’ai pas été très à l’aise.
Dans les exercices proposés.
La première approche fut compliquée.
Pour le coup je me suis sentie handicapée.
*
Vraiment.
Non vraiment.
Vraiment.
Vraiment.
Vraiment.
Y a eu.
Une émulation.
Pour la suite.
*
J’aurais aimé tout de même.
Entendre parler un petit peu plus.
De handicap psychique et mental.
Mais.
Bon.
Une mesure.
Mise en place.
Pour l’accessibilité.
D’un public.
Spécifique.
Est bénéfique.
Pour tout type.
De personnes.
L’HUMAIN
Je me place.
À l’endroit.
De l’humain.
Donc.
Je dois faire sens.
Dans mes actions.
Sinon.
Ben sinon.
Mes actions.
Ne font pas.
Humain.
Tu vois.
Donc.
Ben.
Si.
Pas.
De.
Sens.
Pas.
D’humain.
Tu vois.
Oui.
Oui.
Oui.
Je vois.
Très bien.
Ces deux jours.
t’ont.
Vraiment.
Aidé.
À voir
Loin.
Loin.
Loin.
CINÉMA
Vous avez vu le film Vers la lumière ?
Non. Ça parle de quoi ?
Un photographe perd la vue.
Et tombe amoureux de l’audiodescriptrice.
VÊTURE
J’ai pu tester.
Le gilet vibrant.
Combinaison de transducteurs.
Et membranes vibrotactiles.
Pour fournir une dimension physique du son.
C’est plus pratique.
De le mettre sur le dos.
Que sur le ventre.
Il y a du gras.
Sur le ventre.
On sent moins.
Les vibrations.
HANDICAP
Le handicap visuel.
Je n’osais pas poser des questions.
On vit avec.
On n’en parle pas.
On n’en a jamais parlé.
Avec mon fils.
*
Mon expérience ?
Le daltonisme.
Heureusement
Y a un super docteur.
Qui a dit un jour.
« Et si c’étaient les autres.
Qui voyaient différemment ».
*
Pas été très à l’aise.
Dans les exercices proposés.
Me suis sentie handicapée.
Parce que.
Beaucoup trop.
Parce que.
Pas tout compris.
*
Juste un petit regret.
Pas assez.
De diversité.
D’intervenants.
Avec un handicap.
Heureusement j’ai découvert.
Des collaborations possibles.
Sur un même territoire.
Entre plusieurs structures.
Qui peuvent développer.
Et s’enthousiasmer.
Ensemble.
LE MOT DE LA FIN
La compréhension mutuelle et réciproque.
Est nécessaire pour avancer dans nos médiations.
Nos médiations sont nécessaires pour avancer
Dans la compréhension mutuelle et réciproque.