Seul l’environnement – par exemple la ville – peut façonner un homme au point d’en influencer son écriture. L’extérieur crée la voix intérieure.
2 –
Il ne s’agit plus, à l’heure où les bibliothèques croulent sous des milliards de livres, de raconter l’histoire de ses livres mais bien de faire l’inventaire des livres que l’on n’a pas lu. Qu’on se le dise : la culture trouée devance tout.
3 –
Le livre n’a pas le monopole de l’espace. Il doit accepter, parfois, que les mots gravissent les murs, les immeubles, rampent sur le sol, grimpent aux arbres. Et là, sur une branche, se mettent à sonner, à dissoner, à créer leurs petites musiques. Avec le pari qu’un nouveau lecteur naîtra, un lecteur haut perché, amateur de feuilles vertes et d’air libre.
4 –
L’écriture est bien plus intéressante dans ce qu’elle n’est pas et dans ce qu’elle pourrait être. Il y a urgence à créer un mouvement anti-écriturien face aux nombreux mouvements littéraires. A notre non-écriture. Et plus vite que ça.
5 –
Il s’agirait, pour faire émerger la force des mots, de les frapper, les tailler, les retailler, avec tout de même quelques risques : ne pas trop leur tabasser la gueule, sinon, ils se traînent par terre et ne peuvent plus porter aucun sens autre que celui de leur destruction. En somme : transfigurer les mots, et le faire radicalement, sans toutefois en oublier leur origine.
6 –
Produire des textes, c’est bien. Mais parfois d’autres l’ont fait bien mieux que nous, donc pas besoin de s’y coller. Mieux vaut les recopier et les restituer à de nouveaux lecteurs. Ça leur donnera un nouveau souffle, une seconde vie. Retour au moyen-âge de l’écriture. Les mouvements littéraires ne sont que perpétuel recommencement.
7 –
Un texte est mort s’il n’a pas fait l’objet d’une traduction orale, s’il n’est pas – au moins une fois dans son existence – chanté, soufflé, craché.
8 –
Le rebut dans la création littéraire est la hantise de tout écrivain. Il sait le rebut nécessaire mais l’action d’enlever est tout de même un deuil permanent dont il ne se remet que difficilement, avec le temps. Sauf si on se dit que le rébus se recycle, et que le recyclage est l’avenir de l’homme (se reporter à la transition énergétique). Cela est valable tant dans la poésie que dans la sociologie : nos amis sociologues seraient bien inspirés de revenir davantage à leur rebut, de penser le rebut dans l’enquête sociologique, de savoir d’abord ce qu’ils vont ranger sur leur étagère avant de définir ce qu’ils vont socialiser. C’est peut-être là qu’est la réponse à leur question. C’est là qu’est leur devenir (oui, on sait que c’est dur à avaler, mais le monde est dur à avaler).
9 –
La littérature ne fait pas que poser des questions, elle donne aussi des réponses : elle permet d’accepter la dérive, la non-maîtrise, la réception accueillante des circonstances comme une méthode de vie. Avec la plus extrême des rigueurs.
10 –
Avant de s’interroger sur l’acte d’écrire, son sens, les formes à produire, l’inscription de son geste dans la grande Histoire de la littérature, se demander : dois-je écrire ?
11 –
Si l’on peut décrire une vie en 3 strophes au lieu des classiques 300 pages du roman, ne pas hésiter, choisir les strophes. Le sprint plutôt que le marathon. La boxe plutôt que l’embrassade. Le pornographique plutôt que l’érotique.
12 –
Le fond, la forme, on en fait tout un plat. Suffit de se dire : la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. En d’autres termes : le fond c’est la forme. L’affaire réglée, passons à autre chose.
13 –
Beaucoup aiment l’écriture par son geste. Son beau geste de la main qui trace. Des doigts qui claquent sur le clavier. Beaucoup aiment aussi l’écriture par ce qu’en dit celui qui écrit. En sociologie on appelle ça le journal de la recherche. Sorte de mise en abyme de l’écrivain qui commente son acte d’écriture en simultané. Et parfois le journal de la recherche est plus fort, plus intense, produit davantage de sens que la recherche en elle-même. Le journal de la recherche dit le non-dit. Le but même de l’écriture, en somme.
14 –
Il y a urgence à lire à voix haute les textes. Le maximum de texte. Tout ce qui nous tombe sous la main. A voix haute ou à voix chuchotée. La façon dont il faut s’y prendre n’est pas écrite sur le front du texte. Faut essayer un texte à la voix. Éprouver sa nervosité, ses a-coups, son sens caché dans son rythme. Son sous-texte.
15 –
On peut avoir de grands débats sur la création participative – d’aucuns diraient la création partagée. Mais on ne peut esquiver la question de l’auteur dans ces processus collaboratifs. Au lieu de la classique « paternité partagée » que l’on trouve par exemple dans les Licence Creative Commons, affirmons que ce texte – oui, le texte que vous êtes en train de lire – a une « parentalité partagée ». Vous avez bien lu : ce texte a plusieurs pères et mères. Ses parents sont multiples, si multiples qu’il y a comme qui dirait du « trouble dans la filiation ». En 2014 ce sont des choses qui arrivent. Faut vivre avec son temps. Et puis regarder les choses en face, accepter l’évidence : ce manifeste (qui ne demande qu’à être déplié) provient d’un labo d’échangistes textuels. Il est né de l’addition de gestes des laborantins, chacun de ces gestes ayant été produit à 100%. Mais rien n’empêche l’auteur de ce manifeste d’en revendiquer la paternité à 100%. Un auteur émancipé – et donc à jamais sa propre mère et son propre père -, c’est la meilleure garantie contre la moisissure de la littérature.
Effluve mis en partage au sein du labo littérature le 10 septembre 2014