CRITIQUE DU LIVRE « BALISES XP », ESTUAIRE HEBDO | 20 – 26 JUIN 2012 | PAR CAROLINE HEURTAULT
« La littérature, ça ne se projette pas. Ça se fait », annonce Joël Kérouanton dans son petit livre « xp », premier opus éditorial dont « Balises Xp », paru fin mai, pose le deuxième jalon. Avant le troisième et dernier, « Xp mode d’emploi » attendu d’ici à l’horizon 2015 (titre provisoire). Dernier opus explicitement estampillé « XP », en référence au lycée « expé » de Saint-Nazaire, devrait-on ajouter. Car à l’issue des trois ans de résidence de l’ancien éducateur spécialisé entre ses murs, gageons que les élèves, les membres de l’équipe éducative (MEE) et l’auteur en ont stockées, des graines de création qui prolongeront la trilogie dans l’esprit pédagogique du projet.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », sourit Arthur, venu s’exprimer sur l’aventure à laquelle il a participé avec un travail sur les « mélodies enfouies de l’enfance » sur une invitation de la chanteuse Christine Leboutte. C’est un des procédés retenus pour ce chantier littéraire placé sous le signe de « l’attrape-traces » : convier des artistes à la rencontre de lycéens mis en posture d’« expérimentaliens », de faire circuler l’énergie créatrice des lieux de culture qui gravitent autour du lycée, le théâtre Athénor, la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs (Meet) et le centre d’art contemporain Le grand café. Laisser les élèves sentir, imaginer, comprendre ce que les affinités humaines et artistiques induites pouvaient déclencher au dehors. Dans un livre, puis deux, et bientôt trois. Certains n’ont pas prêté attention au projet ou si peu, comme Aurore, qui a juste vu les pages « avec les plus et les moins » accrochées au mur des toilettes. Cela l’a amusée, mais à l’évidence, l’élève de terminale a le sentiment d’avoir raté le coche. « Je n’ai pas senti comment avoir prise sur le manuscrit », commente-telle à propos des moments où elle s’est trouvé confrontée aux extraits du Work in progress disséminé aux quatre coins du lycée au fil des trois ans de résidence. Dans un « gueuloir » à la Flaubert, et jusque sur les marches de l’escalier, où des notices synthétiques avaient été scotchées pour faciliter l’entrée dans un manuscrit compilant des centaines de pages à dix, vingt, cinquante voix. C’était en quelque sorte l’alibi de ce texte, à mi-chemin entre le travail collectif et le livre d’écrivain, celui d’assumer les échos, les emprunts, imaginaires ou réels, de voix plurielles, de Michel Foucault à Shakespeare, autour de la signature d’être écrivant ici et maintenant.
« Nous avons mis longtemps à trouver cette présentation à chaque début de chapitre, une structure moléculaire réunissant trois noyaux – le lycée, les artistes sources de l’inspiration, et moi », explique Joël Kérouanton. Parfois sa signature s’efface au profit de celles des MEE et des élèves. Je crois que c’est le pas décisif que j’ai fait dans cette aventure, une liberté accrue vis-à-vis de l’emprunt. Ce n’est pas le narrateur qui compte, disait Beckett, ce sont les mots. Il faut profondément s’émanciper de la crainte du plagiat. »
Loin du débat théorique sur l’identité de l’auteur de ce texte fourmillant, vivant, né de doutes et de victoires sur soi-même, les mots parviennent à y construire un monde alternatif – un lycée XP, dans le lycée XP. Et au fond, n’était-ce pas là le sujet… « projeté » par l’écrivain kerouanton ?