Joël Kérouanton
  • Écrivain
  • Atelier Écrire dans la ville
Par Agathe Mallaisé

 

Bécherel, le 30 mars 2018

 

La salle est feutrée, les fauteuils d’un bel orange. La scène est sommaire et angulaire. L’autrice, en attente, est angulaire. Les regards vont de biais. La fébrilité est à peine palpable. Démarre la lecture d’un texte, extrait de l’œuvre de l’auteure (elle refuse finalement le terme d’« autrice »). Suivent les questions du public. Rapidement, une vieille dame à l’accent anglais s’offusque d’une tournure de phrase qu’elle juge indigne : « trop grosse pour danser ».

 

Ici, pourtant, plus c’est gros, plus ça danse. Ça s’échaude, ça prend ses aises et ça baltringue. Peu à peu, une jubilation saisit la salle, même ceux qui restent assis ne peuvent pas s’empêcher de taper du pied en rythme et d’admirer l’aisance des valseurs amateurs.

 

Plusieurs fois gênée par des questions se rapportant à sa vie privée, l’auteure se défend de toute inspiration subjective et parle de son travail comme issu d’un « imaginaire réel ». Il ne s’agit pas de fictionaliser une réalité qui a pu s’offrir à elle, ni de compulser des observations subjectives (ce travail-là relève de la photographie, nous dit-elle), mais bien plutôt de faire émerger d’une imagination galopante, peut-être maladive, des figures du réel. L’auteure regarde en soi pour écrire et non autour d’elle. Elle n’offre pas son regard sur le monde mais son monde sous notre regard.

On serait à deux doigts d’une psychanalyse un peu hâtive si nous n’étions détournées par la question de la forme. Fragmentaire, élliptique, voire laminaire, certains passages du texte ont désarçonnés plusieurs lecteurs, interrogeant le sens incongru que prend la littérature quand elle est dépourvue de verbes.

C’est pourtant bel et bien dans la modernité et l’audace de l’écriture que réside l’essentielle saveur des Visages de Claire, roman tissant un astucieux canevas de portraits, inspirés par les photographies de morts, qu’elle a pris dans une morgue où travaille l’une de ses connaissances.

« D’une certaine manière, mon écriture leur offre une renaissance. La mort n’est pas une fin en soi ». Nous rappelant par-là même qu’écrire est une forme de lutte à mort, un instinct de survie.

 

Ainsi s’écrit dans l’addition des univers mentaux des sièges oranges, l’histoire d’Anna Besse, de son nouveau roman et de son précédant, L’homme qui caressait les oiseaux. Ainsi se rejoue pour chacun d’entre nous, de manière à la fois spectaculaire et intime, notre rapport à la littérature, à la façon dont elle nous aspire ou nous inspire.

 

Ici, on rit pas mal. Des autres. De ce que l’on reconnaît de soi dans le discours des autres. Des postures et des impostures.

Ici, on fait danser les mots et les idées, on rebat les clichés, on s’enroule dans la mauvaise foi avec délectation, on s’habille avec emphase de n’importe quoi, on entre avec fracas dans le grand Blabla.

Ici, on transcendanse la littérature avec éclat.