Par Francine Bérieau |
Le récit de la création d’un ballet, ou comment exprimer par les mots le mouvement et l’espace de la danse.
Depuis plus de dix ans, le festival Concordan(s)e réunit sur le plateau les danseurs et les écrivains, avec brio. Ici, il s’agit de tout autre chose, l’écrivain est assis sur la frontière entre la scène et le reste du monde, dans une sorte de coulisse d’écriture, non dissimulée. L’intérêt de Myth(e), roman dansé de Joël Kérouanton, est donc tout autre: il retrace la création du ballet de Sidi Larbi Cherkaoui, myth (2007).
Dix années d’aventure, à cohabiter avec la troupe, de répétitions en spectacles, en France et en Belgique, «confortablement assis sur le canapé rouge magenta, un projecteur dans le dos, la totalité de [son] ombre se projetait sur le plateau.» Temps long de l’observation, d’interactions avec les danseurs, implicites par la proximité physique et cette ombre projetée légèrement intrusive, et, explicites, grâce aux mots échangés avec eux, l’ouvrage est le produit subtil et irréductible de ce méticuleux distillat.
Va-et-vient de création, littéraire et chorégraphique, on imagine dans ce processus une dynamique du nourrissement mutuel. Si la chorégraphie de Cherkaoui laisse une large part à une improvisation qui naît de l’environnement, de la présence de certains danseurs à certains moments, de leur humeur, nul doute que la tenace régularité de Joël Kérouanton à la marge de la scène aura contribué à l’esthétique et à la force de ce ballet. En retour, l’écrivain est modeste, il ne cherche pas à faire œuvre à tout prix, mais plutôt – comme dans beaucoup de ses travaux – à capter cette relation sensible qui surgit entre l’univers contingent qui l’entoure et la langue de l’écrit.
« Je pouvais au moins tenter de rendre compte, à ma façon, de l’aventure que constituait écrire autour de myth et, pour faire écho au chorégraphe, relater l’ombre des mots: sont-ce nos ombres qui mènent l’écriture / la danse, ou l’écriture / la danse qui fait danser nos ombres ? »
Décidément engagé dans un processus de création foisonnant, Joël Kérouanton nous livre ici un essai poétique qui s’inscrit de plain-pied dans le travail généreux qu’il conduit comme l’architecte des mots qu’il est, soucieux de l’espace dans lequel il évolue.