Correspondance publiée avec l’accord du poète. Dans ces extraits, il donne ses retours de lecture de Myth(e) – version juin 2009.
Le 09 août 2009
« Cher Joël,
Quel beau livre ! Très sincèrement. Un véritable voyage. Une aventure. Avec en son centre cette incapacité à traduire une chose en une autre. Exactement ce qui se passe à chaque instant de notre vie.
À la moindre respiration, sensation : ceci ne passera pas dans cela. À jamais décalé. Toujours pris dans le jeude l’entre. Dans ce battement où ça franchit sans passer entièrement.
L’agitation de ton texte rend pourtant compte du mouvement général de ce qui ne saisit que par pertes successives.
On ne saisit, en fait, que par manque à gagner. Là ça parle.
L’écriture – mais aussi sûrement la danse – est un geste sur une impossibilité de tenir un mouvement en son entier.
L’essayage n’est pas loin d’une forme singeage. Mais il a cette vertu de nous mettre à l’eau. D’être dans les remous de l’insaisissable.
C’est peut-être ça la liberté : ne pas pouvoir tenir. Fermer l’ouvert en un lieu qu’il soit interne ou assigné extérieurement. Nous confondons nos plis, nos repères avec l’intensité des gestes dans lesquels nous nous mouvons. Qui nous tiennent que lâchés à tout instant.
Nous sommes peut-être le lieu sensible du lâchage ? Confondant le titre du passeur avec celui de lâcheur permanent. Moins noble, mais plus en mouvement – de toute évidence.
Ton (futur) livre n’est pas une tentative d’épuisement mais une relance de ce point vif d’intraduisibilité.
Mais peut-on traduire les gestes de ses mots ?
Là aussi, nous sommes invités au déplacement sans point de fixation. Livrés à la seule direction que les sens prennent dans les réactions chimiques, physiques de leurs rencontres. »
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Le 18 août 2009,
« (…) Comme tu le sais, bien des choses ont interrompu cette lettre. Mille excuses !
En tout cas ce qui bouge encore en moi, après la lecture de ton manuscrit, c’est une tentative de déplacer la langue dans le mouvement de la danse.
Je vais finir par croire que nous ne pouvons, en fait, que suivre le mouvement sans jamais pouvoir le définir. L’assigner.
C’est quasiment une question de différence de physique. Cette impossibilité structurelle de ne pouvoir fixer ce qui bouge dans les gestes, dans la danse, n’est pas un manque à gagner. Un défaut. Au contraire.
L’insaisissable, de par son mouvement opère en nous comme des trouées. Mais ces trouées sont étonnamment situables : laissant à vif les zones de manque. Discontinuités avec ses manques sentis.
Tout sauf l’indifférence. L’impossibilité de dire poussée à son extrême, est une façon de loger en creux ce qui se dérobe.
Et là ton texte fourmille de ces loges où l’on sent le passage de ces danses. Peut-être n’y a-t-il pas de mots pour. Mais il y a une absence réelle de tout cet insaisissable qui la rend encore plus prégnante que si elle se tenait pour dite.
En fait, on ne saisit que ce qui s’éloigne. N’a pas de place. De lieu fixe.
Se tenant dans le mouvement de la dépense
Vraiment c’est réussi.
Je t’embrasse et à bientôt
Jean-Louis »