Par Jean-Pierre Suaudeau |
Les collaborations entre écrivains et plasticiens abondent dans l’histoire de l’art. Celles entre écrivain et chorégraphe sont plus rares. D’où l’intérêt de Myth(e), roman dansé de Joël Kérouanton qui retrace la création du ballet de Sidi Larbi Cherkaoui, Myth (2007).
La position choisie par l’auteur est originale à plus d’un titre.
Il se tient en effet non au centre de la scène mais, plus modestement,au bord, en position de spectateur, de simple témoin même si les danseurs le consultent régulièrement ou lui font part de leurs états d’âme. S. L. Cherkaoui lui a d’ailleurs confié une mission : « Avec le miroir de tes mots, le danseur avancera en tant que personnage ».
Position rare puisqu’il nous fait partager les tâtonnements des danseurs, lorsque les corps cherchent, balbutient, doutent et qu’il faut tenter de comprendre ce qui se joue quand soi-même on n’est pas un spécialiste, ayant à sa disposition seulement des mots butant à dire la richesse de moments précieux. De quoi fermer l’ordinateur habituellement ouvert sur vos genoux, renoncer. Pas le genre de Joël Kérouanton qui reste là, installé sur le canapé rouge magenta lui servant d’observatoire, fourmi graphomane accumulant pages et fichiers pour subsister jusqu’à la répétition nouvelle, surpris, ému, désemparé, mais obstiné, traçant à son tour le b-a-ba du geste artistique : la ténacité. Et il faudra plus de mille pages et dix années pour que le texte définitif (85 pages) nous parvienne.
Le lecteur assiste en un double mouvement à la naissance d’un ballet et à celle d’un texte contaminé par la chorégraphie,tourbillonnant, inventif où la fiction a sa part. Un projet proustien ! L’auteur ne joue cependant pas à l’écrivain, il n’en a pas besoin. Il faut lire Myth(e) roman dansé aussi à cette aune-là : l’activité d’un scribe qui se veut médiateur, passeur, trait d’union. Tout le travail d’écriture de JK, dans ce livre mais aussi dans celui qu’il mène ailleurs, est ramassé là, dans l’originalité et la constance d’une position engagée, citoyenne. Politique. Puisqu’il s’agit de transmettre, partager, restituer. Car nous aussi sommes transportés au cœur de la création, assis, dubitatifs et silencieux, sur le canapé magenta, puis au Théâtre de la ville, au Lieu Unique, à Anvers ou Rennes. Car nous aussi sommes troublés par l’immense porte qui barre le fond de scène et restera close, et fascinés par le petit personnage rampant qui refuse de se lever par peur de chuter. Quand bien même nous n’avons assisté à Myth qu’à travers la lecture du livre.
Au vu de l’importance de la problématique on en oublierait un trait essentiel du texte : JK ne se prend jamais au sérieux ou plus exactement a le tact de poser des questions essentielles sur la création, la danse, l’écriture, avec humour, dérision, ironie. Ce n’est pas la moindre qualité de ce livre. Écrire est aussi un jeu.