RESTITUTION DE LA CRÉATION PARTAGÉE « Livre imaginaire », expérimentée le 05 avril 2015 au Vent se Lève ! (Paris), à l’occasion d’une ouverture publique du labo littérature. Livre imaginaire, késako ? Une vraie-fausse rencontre littéraire sur un vrai-faux livre écrit par un vrai-faux auteur. Et qui produit un vrai texte, en jouant avec les codes et les figures du discours littéraire.
Ce n’était pas une surprise mais un peu quand même : Louis S., « l’enfant terrible de la littérature française », a accepté l’idée d’une rencontre publique au Vent se lève, ce samedi 4 avril 2015. C’est face à des lecteurs aux aguets que l’écrivain déroula les intentions de La contradiction (1). Un nouvel opus très attendu après le succès planétaire de L’alcool pour tout le monde (2), que l’on ne présente plus.
Les questions ont fusé dans cette salle mythique du 19e arrondissement de Paris, connu pour son public à rebrousse-poils. L’auteur Houellebecquien, « dans le sens où nous sommes tout deux des capteurs de l’air du temps, et nous sommes aussi tous deux arrivé trop tard dans le capitalisme tardif » (Libération, 25 mars 2015), ne s’attendait peut-être pas à un public aussi contradicteur.
D’entrée, Louis S. dû s’expliquer sur ce récit épistolaire très formel dont la temporalité de chaque chapitre se déroule sur une minute trente secondes. Nous apprendrons que ce recueil — des lettres adressées à la mère du narrateur écrites pendant une minute trente seconde tous les dimanches soirs à 20h00 — est une tentative de faire naître la possibilité d’une discussion avec la mère de l’auteur. Une femme qui n’a pas l’air des plus commodes : « Est-ce que vous avez déjà essayé de discuter avec une barrière ? » lança Louis S. face au public. Tout en retenue, les lecteurs n’ont pas souhaité glisser sur le terrain privé de l’auteur, même si à plusieurs reprises il évoqua sa probable filiation maternelle avec M. D., alias Marguerite Duras. Une mère qui l’aurait encouragé – malgré la barrière qu’elle représenta dans son rapport à l’enthousiasme, à l’allégresse ou à la poésie – à réemployer à sa guise la totalité de son oeuvre.
Les lecteurs avides d’anecdotes auront été servis : ils apprendront que ces lettres destinées à la mère de l’auteur ne s’adressaient finalement qu’à lui-même. Sa mère ne les a jamais lues, pour une simple raison que l’auteur ne les lui a jamais envoyées. Il y a dans ce contre-pied un voisinage joyeux avec Franz Kafka et sa Lettre à mon père, qui en a fait rêvé plus d’un en matière de règlement de compte familial. Mais Kafka non plus n’avait jamais transmis sa lettre à son père. Légitimement, un lecteur s’interrogea : « c’est quoi ces manies d’écrire aux siens sans leur écrire vraiment ? ». Sans trop le réaliser, ce lecteur touchait là le noeud de La contradiction : on n’écrit pas à sa mère ou à son père (surtout s’ils sont vivants) ; on s’adresse à eux symboliquement.
Critique, le public le fut, à l’image de cette trentenaire qui n’avait pas sa langue dans sa poche, « il y a un vrai manque de poésie par rapport aux livres précédents, comme si vous avez perdu votre langage, comme si vous ne compreniez plus rien ». Tant mieux, répondit Louis S., citant Olivier Cadiot : « Aussi triste que de perdre des choses, ce serait de les retrouver éternellement semblables au milieu d’une ville changeante ». Critique encore cette lectrice qui titilla Louis S. à propos de son rapport à sa mère, « Par rapport à votre mère je trouve que ce n’est pas lui rendre honneur que de s’imposer cette règle des une minute trente seconde ». C’est que je suis alcoolique, expliqua calmement Louis. S., avant de rappeler que l’air de rien l’alcoolisme ça prend du temps alors autant écrire court, de toute façon la littérature du XXIème sera fragmentaire (ou ne sera pas), les romans fleuves à la Victor Hugo c’est fini. Quand à son soi-disant manque de poésie, Louis S n’a rien à en dire. Expliquer sa poésie, ce serait pire que d’expliquer la peinture à un lièvre mort [il s’empara soudain de La contradiction pour en lire un extrait à voix haute].
« Corps, en coeur, encore, core, décors, écoeure, corps, écrou, écueil. Cueille de grâce, mauvais sort, maladresse, paresse, messe, glissons ; étoile énuclée qui charge les empruntes d’un paroxysme érodé ».
« Mais alors, pourquoi écrire précisément ces lettres le dimanche soir à 20h00 » s’intrigua un lecteur. Parce que c’est le moment exact de l’introduction du journal télévisé de 20h00, répondit du tac au tac Louis S., une façon de dire que l’information, comme la littérature, n’aura jamais fini son travail sur elle-même, qu’à chaque fois qu’elle affirme avec certitude, elle se doit d’énoncer l’affirmation opposée avec laquelle cette certitude est en rapport.
Les rencontres littéraires ne sont pas toujours des modèles d’intelligence et cette dernière n’a pas échappé au piège gnan gnan des couleurs : « Si vous avez une couleur à donner à vos textes, à votre écrit, vous donneriez quelle couleur ? ». Même les modérateurs se sont pris au jeu, comme si parler des couleurs évitait de plonger dans le coeur même du texte. C’est le bleu qui sorti du lot, écho à une phrase de L’amant de la Chine du nord, un emprunt repéré par un lecteur, page 88 : « Il la posa sur le lit et lui déchira sa robe de coton bleu ». Et c’était parti pour un festival :
— Si j’avais une couleur a donner à La contradiction, ça serait un verre amande, tacheté de constellations de jaune moutarde, puis parfois des longs passages de bleu. En référence à Klein bien sûr.
— Ce livre c’est l’infini, le bleu infini de la mer.
— Le bleu c’est aussi un peu la mère patrie parce que le bleu c’est parait-il la couleur des Français.
— Sans compter le vêtement de la Vierge-Marie-mère-de-Dieu-priez-pour-nous.
— Ouais. Le bleu c’est aussi la couleur de Facebook.
— Finalement le bleu est intéressant mais il n’a pas encore choisi son camp. Il mange un peu à tout les râteliers.
« Un livre ne se fait pas tout seul » s’est exclamé un lecteur, « pour La contradiction, je me demande vraiment comment vous avez travaillé ? Concrètement j’veux dire. Louis S. aurait lancé via le Vent se lève un appel à collecte de « Lettres à ma mère ». Cent cinquante lettres sont arrivés dans ce tiers-lieux. Ces lettres d’anonymes reçues au Vent se lève, que voulez-vous que j’en fasse ? s’interrogea Louis S, avant d’expliquer s’être immergé dedans, avoir rempli une pièce de ces lettres, si bien que ça a formé une sorte de piscine dans laquelle tous les matins, nu, il allait s’immerger. Parfois, lors de de séances d’apnée, certains mots passaient devant ses yeux il les saisissaient comme ça au passage. Et, finalement, ces une minute trente seconde, c’est le temps qu’il peut tenir en apnée dans sa piscine de lettres. Des lettres dont quelques-unes stipulaient la non-cessation des droits d’auteur. Qu’importe : Louis S. pris la liberté un peu punk de réemployer ces mots sortis d’une autre bouche, des mots qui apparurent finalement siens. Louis S. aurait même mixé ces lettres d’anonymes aux Lettres d’Artaud, dont cette fameuse Lettre à ma mère écrite à Ville-Evrard.
Nul doute qu’Artaud aurait tiqué à lire ses mots tissés avec d’autres langues que la sienne. Mais qu’importe qui parle. Même Louis S. ne sait trop plus d’où lui vienne les mots, tout ça le dépasse, il n’y a rien de plus dangereux (et plus beau) qu’écrire, bien souvent les réécritures incessantes font que les livres ne prennent pas toujours les chemins que Louis S. avait prévus, mais ces directions nouvelles, en le surprenant déjà lui-même, en viennent très vite à l’intéresser plus que ce qu’il avait prévu, imaginé. La beauté que Louis S. traque en écrivant est peut-être liée à ces surprises. Alors, est-ce ses propres mots ? Les mots des autres ? Qu’importe qui parle pourvu que l’ivresse de la langue soit convoqué. Dans La contradiction l’ivresse linguistique est à son summum au point d’en faire tituber le lecteur.
Sans crier garde Louis S. pris l’initiative de clore la rencontre, non sans faire tituber une nouvelle fois les lecteurs du Vent se lève (La contradiction, page 131) : » Mère, j’aime partir d’exercices et non de la technique ou des procédés, j’aime mener ces exercices jusqu’à l’épuisement : crises organisées, dépenses calculées, peinture dans le temps, écriture sans fin ; tout ça, toutes ces épreuves, pour m’épuiser, pour me tuer, pour mettre au travail autre chose que moi, pour aller au-delà de mes propres forces, au-delà de mon souffle, jusqu’à ce que la chose parte toute seule, sans intention, continue toute seule, jusqu’à ce que ce ne soit plus moi qui dessine, écrive, parle, peigne. Mère, je te le dis et tu dois me croire : je n’ai jamais écrit aucun de mes livres « .
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(1) Louis S., La contradiction, Paris, Édition du Vent, 2015.
(2) Louis S., L’alcool pour tout le monde, Paris, Édition du Vent, 2013.
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Article _ Joël Kérouanton
Concept _ Livre imaginaire, par Joël Kérouanton en coopération avec le labo littérature. Livre imaginaire est une variation de GÉNERIQUE, un jeu open-source et sous licence creative commons 2.0., développé conjointement avec Everybodys.
Modérateurs _ Esther Laurent-Baroux, Joël Kerouanton.
Auteur _ Louis Schickel
Laborantins _ Marie Bossennec, Audrey Caqueneau, Virginie Le Priol, Stéphanie Schnitzler + public du Vent se lève.
Emprunts _ Arno Bertina, Joseph Beuys, Maurice Blanchot, Olivier Cadiot, Marguerite Duras, Pascal, Valère Novarina, Louis Schnikel.
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Dernière modification : 23 mai 2015.