Joël Kérouanton
  • Écrivain
  • Atelier Écrire dans la ville

Là où on brûle des livres, on finit aussi par brûler des homme, constatait le poète Allemand Heinrich Heine. Les livres de Bertolt Brecht, Sigmund Freud, Karl Marx, Stefan Zweig, Maxime Gorki, Lamartine, Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, des manuscrits bouddhistes, des Corans et bien d’autres furent détruits par le feu en public, notamment par les régimes nazis, franquistes ou révolutionnaires chinois.

L’histoire n’est plus la même quand c’est l’auteur qui brûlent ses propres livres en public. D’un autodafé on passe à un « auto-autodafé ». L’exemple le plus récent, à ma connaissance, s’est déroulé dans une bibliothèque de quartier à Wroclaw (Pologne), à l’occasion de la « nuit de la bibliothèque », évènement annuel qui accueille une centaine d’enfants pendant 24h00 non stop entre des murs de livres. Performance littéraire, couché livresque et nuit de mots, le programme était des plus réjouissant. C’est Dimitri Vazemsky qui s’est livré à cette performance esthétique autant que relationnelle[1].

Ça a commencé par du pliage sans frontière. Trois livres pliés par des enfants polonais et français, qui s’amuseront à faire du volley-ball avec VolS de flamanDs roses, de la jonglerie avec temps priset de la danse contemporaine avec havre des pas, des ouvrages de Dimitri Vazemsky. Ça s’est poursuivi par de la danse, une danse avec les mots, une danse de mots qui donna le tournis à ces enfants pour qui les langues respectives s’oubliaient dans le mouvement des corps.

Les corps en mouvement s’engouffreront dans la nuit étoilée (14 °C, vent nul). La danse se produira dans la cour, face à une installation-fusée pas plus haute qu’un môme de huit ans. Au centre de l’installation : une grille sur laquelle reposera une soupière pleine de vraie soupe cuisinée par le même Vazemsky (bouillon, céleri, citron, pâtes alphabet). En bas de cette installation, pour chauffer la soupe  : une quinzaine de livres prêts à flamber. Autour : soixante d’enfants surexcités venus passer une nuit en bibliothèque, dont cinq Français qui allumeront le feu de mots avec des bouts de pages de VolS de flamanDs roses.

L’auteur de cette installation tribale – toujours le fameux D.V. – prendra la parole, suivi par une traductrice et non moins responsable de la bibliothèque : « Je suis l’auteur de ces livres / To ja napisałem te książki… Je vais maintenant détruire ces livres (ce ne sont pas ceux des autres) / Mam zamiar je zniszczyć (ponieważjestem ich autorem)… Cette dernière précision est très importante / Ten ostatni punkt jest bardzo ważny… C’est, en fin de compte, un « auto-autodafé » / To, jest ostateczny koniec, « auto-autodafé »… Les mots sont prisonniers de ces livres / Słowa są więźniami tych książek… En l
es brûlant on va libérer les lettres, prisonnières des mots écrits / Przez spalanie uwolnięlitery, więźniów słowa pisanego… Enflammer les lettres noires pour montrer pâtes blanches, une espèce d’alchimie/ Zpalić czarne litery, aby ujawnićbiel makaronu, to rodzaj alchemii… C’est un peu Harry Potter / To trochę jak Harry Potter.

Harry Potter a encore de beaux jours devant lui : l’évocation de son seul nom aura pour effet d’attiser le feu. Les livres brûleront en quelques secondes, ainsi que le socle de l’installation. La soupière pleine de soupe vacillera. Les enfants, affamés, craindront un instant pour leur ventre. Des « attention !« , « noooon ! », « Oh zut« , « c’est pas vrai ! » / « Uwaga! », « Nieee ! » , « O cholera », « to nie jest prawda » ! transperceront la nuit étoilées. Le drame sera évité de justesse.

Ne restait plus qu’à servir la soupe aux lettres à chacun des invités, rassemblés dans un moment que l’on pourrait qualifier d’œcuménique. Ou comment, par une soupe et des livres, le concept d’art relationnel s’exporte en Europe de l’Est. Il restera trois lettres au fond de la soupière : la lettre « F », la lettre « I » et la lettre « N », d’ailleurs on n’avait plus faim.

Dans cette bibliothèque de Wroclaw, je me disais que Dimitri Vazemsky de Wazemmes (Lille, France) aurait pu brûler ses livres à l’aide d’un minifour solaire Pif-Gadget, constitué d’un miroir concave qui réfléchit les rayons du soleil en un point précis où se trouve un petit godet en métal qui permet de faire cuire de petits aliments… En même temps que serait pratiqué cet « autoautodafé », chacun des enfants éprouverait l’impact des nouvelles énergies du futur, tout en goûtant ce que peut produire d’émancipatoire la lecture des fameux Pif-Gadget, un patrimoine français non négligeable, une revue qui participa à sa façon à l’Histoire de France.

Des regrets encore, en observant ces cendres de mots, au cœur de la cour, tel un cendrier géant, traces des « francuski ». Et si nous conservions ces cendres dans une urne, laquelle serait exposée dans un lieu culturel français – ce n’est pas ça qui manque là-bas -, lors d’une installation intitulée « la culture, tombeau de l’art ? ».

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Note :
[1] Cette performance fut menée lors d’une « mini-résidence intergénérationnelle » d’artistes dans le cadre d’un projet européen Grundvtig (programme d’éducation et de formation tout au long de la vie) lancé en 2012 par Větrné mlýny, une maison d’édition tchèque en partenariat avec la maison née d’éditions Nuit Myrtide. Ce projet, c/o dimitri vazemsky, permit grâce à une bourse de mobilité européenne de rencontrer d’autres acteurs culturels, d’échanger sur les pratiques de chacun, partager les envies, des idées d’apprendre à se connaître et pourquoi pas de monter des projets communs. C’est ainsi que se fit la rencontre avec l’équipe de la médiathèque de Wroclaw et plus particulièrement Jolanta GrzElczyk. Une première résidence eut lieu en 2013, l’illustratrice knapfla & dimitri vazemski, avec sa casquette d’écrivain, se plongèrent dans la ville de Wroclaw. Une deuxième résidence eut lieu un an plus tard, en mai 2014, toujours en présence de knapfla& dimitri vazemsky, rejoints par l’illustrateur Paul Martin, l’écrivain Joël Kérouanton & leurs enfants. Car il s’agissait cette fois-ci d’entrevoir comment des enfants pouvaient aider les adultes à s’immerger dans une ville comme Vroclaw. Un objet multimédia (textes, dessins, vidéos) est en cours de fabrique pour tenter de raconter ce voyage. Y trouveront place un texte (« Avec les enfants« ), une vidéo et de nombreux dessins et photographies |Retour au texte


Écrit par _ Joël Kérouanton
Oeuvre _ Performance de Dimitri Vazemsky, 31 mai 2014, bibliothèque de Wroclaw,  Pologne (EU).
Source: Pif Gadget n°496 de 1978
Photos _ @ Joël Kérouanton

Licence Creative Commons BY-NC-SA (pas de © ) 1ère mise en ligne le 11 octobre 2014 et dernière modification le 26 octobre 2014