CRITIQUE DU LIVRE « HORS-SCÈNE : DU HANDICAP À L’AVENTURE THÉÂTRALE », CASSANDRE | HIVERS 2006 | PAR VALÉRIE DE SAINT DO.
En sculpture, le chêne est le bois le plus difficile à travailler, ainsi que le palissandre […]. Le plus facile, c’est le merisier, car tu parviendras toujours à sculpter à peu près ce que tu veux.
Avec du chêne ou du palissandre c’est retors. Si tu prends à contre-fils tu exploses. Tu passes ton temps à chercher dans quel sens tu vas prendre le fils. Comment tu vas te placer avec ton corps. Comment tu vas tenir la gouge pour arriver à sculpter ce que tu veux […].
Mon boulot avec eux, c’est « Dans quel sens je me mets pour aller à contre-fil ? Pour ne pas casser le bois ? ». Il y a des jours où on y arrive. Et là c’est génial. »
Gérard Carnoy, metteur en scène, cité par Joël Kérouanton.
« Ils, ce sont les jeunes adultes du C.A.T. artistique Cecilia, des handicapés adultes auquels ce centre d’aide par le travail artistique propose de faire du théâtre leur métier. Une gageure, quand la profession est déjà si difficile aux postulants dit « normaux ». Ou une compréhension fondamentale du rôle de l’art, outil de relation à l’Autre ?
Le livre de Joël Kérouanton retrace cette aventure, commencée sur une péniche cinéma-théâtre. Belle métamorphose pour une navigation aussi excitante qu’éprouvante entre les récifs de l’opposition politique et de l’utilitarisme, du démo de la représentation – véritable nécessité aussi bien économique qu’artistique pour une troupe qui doit vivre de son travail.
Au travers de récits, de traits et portraits, Joël Kérouanton nous décrit la formation d’une communauté artistique, ses fragilités, ses enthousiasmes, ses doutes. Les artistes et les éducateurs partie prenantes du processus semblent avoir fait leur la maxime de Jean Oury, psychiatre fondateur de la clinique de la Borde : considérer au quotidien que tout « ne va pas de soi », dans le processus artistique comme dans le processus pédagogique. Cet ouvrage en est l’illustration qui dit sans cesse la nécessité de la prise de distance, de la réflexion, y compris dans le lieu de l’aventure humaine et artistique. Essentielles, les interrogations du livre renvoient un miroir pas toujours flatteur aux pratiques « normales » (normalisées?) de l’art. Pratiques qui gagneraient à être considérées par cette réflexion en profondeur sur le rôle de l’art issue de ces lieux « difficiles ».