CRITIQUE DU LIVRE « Hors scène : du handicap à l’aventure théâtrale », LIEN SOCIAL N° 779 | du 5 janvier 2006 | Par Frédérique Arbouet.
« Le corps de l’acteur est tendu et expulse une phrase définitive : on est seul dans le désert, on est seul aussi chez les hommes ». Fulgurance. “À ce moment-là, la ressemblance prend le pas sur la différence”. Voici le dernier Kérouanton, qui raconte l’histoire d’une troupe professionnelle de comédiens, musiciens et marionnettistes en situation de handicap. Dans son acharnement à décrypter les enjeux de ces aventures atypiques, l’éducateur persiste « à ouvrir des voies, à débroussailler des idées, trouver du sens et de fait confirme que de la description des pratiques éducatives découlent leur analyse et leur changement ».
Dans un récit chronologique écrit entre 2000 et 2005, il relate cinq années de travail, de combat, d’enthousiasme, de déception. Cinq années d’une aventure théâtrale au CAT artistique Cecilia dans lequel il travaille. Comme ces récits ne se suffisent pas à eux-mêmes, il rajoute des commentaires, des analyses, des mises en perspective. Il propose ainsi une « mise en dialogue des regards » de moniteurs d’atelier du CAT ainsi que d’autres artistes qui travaillent dans des espaces proches, où l’articulation entre action éducative et action artistique se croisent sans cesse. Le tout est ponctué d’intermèdes qu’il nomme “carrefours”, mettant en parallèle son itinéraire personnel avec son activité professionnelle, qui apportent une touche sensible à ce livre didactique.
Des répétitions aux représentations (la troupe a joué plus de 120 fois, depuis l’ouverture du CAT en 1999), de la première tournée en Bretagne à la découverte de l’art contemporain dans les musées, d’une manifestation « dernier geste de désespoir d’un collectif » à la déambulation musicale “batucada”, Joël Kerouanton propose son regard de l’intérieur. « Comment envisager un art vivant en présence de comédiens, marionnettistes ou musiciens dont les corps ne sont pas inscrits dans une esthétique dominante ? ». Chemin faisant, chemin aidant, l’alchimie, au fil du temps se produit. « Travailler le corps en théâtre pour les comédiens du CAT, c’est assumer sa porosité, c’est prendre le risque de vivre sa faiblesse… Le corps n’est plus l’objet que l’on cache mais un sujet qui devient forme, un être qui s’affirme, qui ose dire “je” ».
Le lecteur suit la pensée, toujours en mouvement et en évolution, de l’auteur sur la nécessité de l’intervention artistique et éducative dans l’univers médico-social. Le CAT artistique, lieu de résistance et du possible, en apportant des réponses en acte, lutte pour « sa survivance » et contre « la frilosité et les idées reçues ». Tel un « gardien de sens » comme l’écrit Nicolas Roméas dans la postface, Joël Kerouanton, dans ce livre utile, démontre que « la pratique artistique est par essence transformatrice… bien plus fort que tout discours : occupons donc la scène et le regard d’autrui changera ».