Joël Kérouanton
  • Écrivain
  • Œuvres participatives
  • Panier littéraire

Organisé tous les deux ans, le Festival ART ET DECHIRURE regroupe toutes les formes d’expression artistiques : théâtre, danse, musique, arts plastiques, cinéma et vidéo… issues entre autres du monde de la santé mentale ou traitant de la question. Ce que les organisateurs nomment la déchirure de l’être. Il ne s’agit pas de proposer une esthétique de la folie mais plutôt de dé-marginaliser et témoigner de l’existence d’une production artistique singulière. Le Festival a fêté sa 10ème édition en mai 2006. Passage en revue de cet événement incontournable de la vie Rouannaise.

L’art ne peut guère faire autre chose que de pointer des réalités somme toutes connues, mais rarement débattues sur la place publique. Le Festival Art et déchirure ose se rendre là où ça ne va pas de soi, aidé par une exigence artistique qui, généralement, ne trouve pas l’excuse du handicap ou de la maladie pour nous jouer la carte du médiocre. Le spectateur est souvent déstabilisé, et c’est tant mieux.

La programmation n’hésite pas à interroger le désir de suicide (Psychose 4 : 48, mise en scène de Bruno Boussagol, avec la puissante Nouche Jouglet-Marcus), le rêve et ses avatars (Ook, mise en scène par Sidi Larbi Cherkaoui et Nienke Reehorst, où ce que la danse peut dire de nos rêves, danse de corps désarticulés, dissociés, aberrants ou ignorés…), la représentation de la douleur psychique et ses silences (Un pas dans la tête, par la Cie Black, Blanc, Beur et le surprenant danseur Iffra Dia, alliant Hip Hop et gestes minimalistes, esquivant la toute puissance de la musique), la femme objet sexuel et maltraitée (Agnès Casati et ses poupées Barbie ; déjà vue mais toujours aussi efficace) et les relations soignants/soignés au début 20ème (Le P’tit Albert, remarquablement interprété par Jean-Marie Frin, d’après une nouvelle de Jack London, emprunt de véracité puisque joué avec justesse dans une ancienne cantine du Centre Hospitalier du Rouvray).

La question n’est peut-être pas de savoir si « ça nous a plu ou pas », mais de savoir ce que ces expériences radicales de spectateur ont pu interroger chez chacun d’entre-nous – surtout Psychose 4 : 48, un moment clé de cette 10ème édition. Des débats post-spectacles ont parfois été organisés, mais cette mise en perspective par la parole auraient pu être multipliée, le spectateur se retrouvant souvent seul et démuni après les représentations ou les visites d’exposition. C’est vers un accompagnement du spectateur qu’il y aurait à travailler.

Les arts plastiques – espaces où les dispositifs et autres installations peuvent à eux seuls travailler la question de la relation – se sont beaucoup centrés sur l’art brut, et n’ont pu suffisamment s’emparer de l’interrogation des enjeux de la relation humaine et ce qui permet ou pas de maintenir des liens vitaux. La Grande Renée, cantinière des artistes, sculpture de six mètres de haut d’Emmanuel Barat, dans la tradition des Géants du Nord, fait exception par son dispositif de survie et néanmoins convivial. Une popotte. Une cuisine ambulante. A l’arrière, un parasole de marché rouge constitue la jupe sous laquelle on s’abrite autour d’une table et d’un barbecue. L’accès se fait par le côté en repliant un lit d’appoint. Cette installation fut présentée pendant dix jours au Centre Hospitalier du Rouvray, lieu où cette aventure festivalière a démarré en 1989, avant d’inonder le cœur de la cité Normande.

Les présentations de travail issues d’atelier de pratiques artistiques en milieu médical apportent quelques confusions, de fait de leurs aspects moins aboutis. Mais comment faire autrement ? Peut-on faire l’impasse de ce travail de fond, de ces espaces où chacun des participants peut entrevoir la force du geste artistique et, le cas échant, se confronter à un public ? Si ce Festival ne donne pas d’espace à ces démarches, où ces actions peuvent-elles trouver résonance ? C’est là une question sans réponse, mais qui montre les limites d’un tel festival. Il y a là un grand écart avec les productions d’artistes « hors les murs » que la direction du festival, José Sagit et Joël Delaunay, tente de réaliser en prenant des risques assumés.

 

Nous ne pouvons clore cette fenêtre festivalière sans citer le psychiatre Catalan François Tosquelles, auquel l’auteur Serge Valletti s’est adjoint pour proposer à Christian Mazzuchini d’interpréter Psychiatrie/Déconnatrie au Centre culturel Marc Sangnier, Scène Nationale de Petit Quevilly / Mont Saint Aignan : « La qualité essentielle de l’homme c’est d’être fou. Et que tout le problème c’est de savoir comment il soigne sa folie. Si vous n’étiez pas fou, comment voulez-vous que quelqu’un soit amoureux de vous, pas même vous. Et que les fous que l’on met dans les asiles psychiatriques, c’est des types qui ratent leur folie. L’essentiel de l’homme c’est de réussir sa folie ».