« Du consumérisme pédagogique à la pédagogie de la coopération et de la libre-circulation : réflexion sur une approche de la formation en travail social prenant en compte l’apprenant dans sa globalité » (avec Solange Alleaume et Danièle Chabrier)
Texte publié dans la revue Savoirs et Formation, n° 87-88, janvier-février-mars/avril-mai-juin 2013, pp. 23-24. Lire en pdf : ici.
* * *
Il s’agit dans cette contribution de montrer la place du « faire équipe », entre quelques formateurs au sein d’un institut de formation de travailleurs sociaux situé dans le département de Seine Saint Denis (93), comme tentative de réponse pédagogique à la situation d’apprenants travailleurs sociaux, issus pour la plupart « des quartiers ».
Les uns et les autres sont en effet confrontés en plus de leur obligation de suivre leur cursus de formation, à des difficultés d’ordre économique, (qui les oblige à trouver un travail ou des appoints financiers), médical (mauvais suivi sanitaire lié à leurs difficultés économiques, maladies chroniques invalidantes, ….), relationnel (rupture parentale ou conjugale liée souvent à un changement de paradigme de leurs référents culturels). Une étude récente réalisée par le Groupement de Recherche d’Ile de France (GRIF ) auprès des étudiants travailleurs sociaux l’a mis en évidence.
Ce constat des vécus extérieurs de ces apprenants, étudiants travailleurs sociaux, est amplifié par la réforme de leurs diplômes, faisant évoluer tous les diplômes de travail social (ici pour cette expérience pédagogique, les diplômes concernés sont ceux d’assistants de service social, d’éducateurs spécialisés, d’éducateurs de jeunes enfants) d’une conception d’acquisition de connaissances à une conception de repérage d’évaluation des compétences, très chronophage en temps, qui amène les étudiants à développer des comportements de consommateurs, plus inquiets de « réussir » à tout prix, qu’à se former et venant se surajouter à leur vécus personnels, pour certains déjà très « limites ».
Cette situation se développe dans un état de blocage institutionnel, à l’intérieur d’une maquette pédagogique inchangée, avec une équipe de direction qui n’a pas pu ou pas su anticiper les changements inscrits dans la réforme de ces diplômes. Les formateurs ont très vite constaté les effets délétères de cette situation. Etant « en première ligne », ils ont très rapidement repéré que l’organisation pédagogique antérieure, faisant toujours loi, ne « fonctionne » plus et crée à l’inverse de nombreux dysfonctionnements, dont un des plus importants est la démotivation des apprenants et leur montée en charge revendicative. Ils se perçoivent eux mêmes, plus ou moins en « échec pédagogique », dans la mesure où les comportements des étudiants amènent des réactions institutionnelles de plus en plus répressives, avec par exemple un contrôle accentué des présences et des sanctions de type disciplinaire. Ils ne se reconnaissent pas dans cette politique, à l’opposé de leur conception et de leur engagement pédagogique, et précisément ici vis à vis de ce public d’apprenants adultes, tous majeurs et pour certains déjà engagés, avant de venir en formation et durant la formation, dans la vie active.
Rapidement, quatre formateurs se sont constitués en groupe de « réflexion pédagogique », regroupant leur analyse commune et « bricolant » en interne, une pédagogie alternative, tentant d’apporter des réponses aux nouveaux enjeux que posaient les attendus de la nouvelle maquette de formation pour les étudiants, tant par rapport à leur vécu interne d’apprenant, que par rapport « aux dégâts collatéraux » provoqués pour certains par rapport à leur vécu externe, mettant par exemple quelques uns de plus en plus en difficultés pour concilier horaires scolaires et horaires de travail professionnel.
L’élément qui a fédéré le « groupe de réflexion pédagogique », ne pouvait pas être une action directe sur les éléments des vécus externes des apprenants en travail social, mais était de tenter de recréer les conditions d’un cadrage pédagogique pour adultes en formation, proposant un espace formatif, créateur d’autonomie, de réflexion personnelle, d’échange collectif, permettant à chacun de s’engager dans son processus de formation, l’amenant nous semble t-il en se mobilisant, à mieux repérer le sens de son cheminement et à trouver à titre personnel, les clés d’articulation les mieux adaptées, entre les différents temps et les différentes contraintes composant sa vie intra et extra scolaire.
Notre objectif pédagogique central a été de tenter de renouer avec les fondamentaux d’une pédagogie pour adultes, permettant à chacun d’évoluer à titre individuel dans un cadre collectif, proposé et soutenu par une équipe de formateurs qui en assure la dynamique, la cohérence, le suivi individuel et l’adaptation si nécessaire. « L’offre pédagogique » faite aux étudiants a été de leur proposer un enseignement de type séminaire, articulant temps d’apports collectifs et temps de production individuels ou en petits groupes, chaque étudiant disposant « d’une feuille de route » indiquant les objectifs pédagogiques à atteindre, les étapes à suivre, les éléments à apprendre, les documents à rendre, les échéances pour les rencontres collectives et le rendu des travaux.
Un deuxième élément pédagogique sous tendu par cette démarche a été de proposer aux étudiants « leur libre circulation » dans les différents espaces pédagogiques référencés : salle de cours, bibliothèque, etc., avec l’idée que chacun avance à son rythme, libre circulation négociée, chaque étudiant informant les formateurs de l’endroit où il souhaitait se rendre.
Un troisième élément pédagogique a été la « mise à disposition » de l’équipe de formateurs, chaque étudiant pouvant sollicité un des quatre formateurs, en dehors des temps de formation collective. Les quatre formateurs maitrisent chacun des compétences complémentaires, dans un domaine d’enseignement spécifique, comme par exemple pour les formateurs concernés, en écriture créative, en recherche documentaire, en méthodologie de la recherche, etc.
Le dernier élément pédagogique a été de constituer une équipe d’enseignants, présents collectivement aux temps de rassemblement en grand groupe. Les étudiants ont affaire à une équipe de formateurs, plutôt qu’à une succession d’enseignants et d’apports théoriques, l’idée étant d’assurer en permanence une cohérence dans l’enseignement et de faire des ponts entre les différentes matières. Cette organisation pédagogique a pu concrétiser auprès de ces étudiants la notion d’équipe pédagogique, ou simplement la notion d’équipe, avec l’idée sous jacente de montrer les bénéfices du « travailler ensemble », en termes d’échange, de supervision, de relais et de soutien.
D’abord testée deux ans dans un seul cours, auprès d’un groupe d’étudiants assistants de service social d’une quarantaine d’apprenants, la pédagogie expérimentée a été présentée lors d’un séminaire institutionnel. Elle a été généralisée depuis la précédente rentrée scolaire, auprès de deux cents étudiants (assistants de service social, éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants), en première année de formation. Néanmoins cette conception pédagogique nous paraît pouvoir s’appliquer à des publics de tout niveau de formation.
Un premier bilan que nous pouvons faire, nous amène aux constats suivants : les étudiants ont ré appris « le droit » de penser par eux-mêmes, ce qui les a amenés à « lâcher » leur comportement purement scolaire et consumériste, étape nous semble t-il vers un comportement et une vie d’adulte responsable et autonome. De même, en se constituant en sous –groupes de pairs, développant entre eux des relations de soutien et d’affinité, ils se sont entraidés. Cette dimension a permis à certains de mieux s’organiser, en faisant face aux contraintes scolaires, mais aussi en trouvant des aménagements dans l’organisation ou les difficulté de leur vie personnelle. Certains étudiants ont rompu ainsi l’isolement dans lequel ils se trouvaient, cherchant entre eux des solutions de relais, propices à se créer des réseaux d’entraide, utiles tant dans la vie scolaire qu’extra scolaire.
Ces dynamiques pédagogiques insufflées nous paraissent bénéfiques à la résolution de certains problèmes personnels, économiques, sociaux ou familiaux pour les étudiants qui y sont confrontés.