TEXTE PUBLIÉ DANS LA REVUE CASSANDRE / HORSCHAMP : « AMALGAME OU COMMENT RACONTER L’HISTOIRE DU CORPS », AUTOUR DU PARCOURS DU CHORÉGRAPHE SÉBASTIEN CORMIER ET DE SA Cie AMALGAME, CASSANDRE N°68, HIVERS 2006, PP. 86-87.
La rencontre du danseur et chorégraphe Sébastien Cormier avec des personnes en situation de handicap fut un déclic : au-delà d’une recherche autour de son identité gestuelle, il a pu réellement commencer à questionner le corps et son histoire. L’association “Amalgame”, au croisement des énergies du chorégraphe, d’amateurs et professionnels du spectacle vivant, porteur de handicap ou non, prend acte de cette nécessité vitale de danser. Rencontre avec Sébastien Cormier, installé depuis trois années dans la région de Valence.
«J’ai fait un grand voyage durant un stage de danse avec Adam Benjamin[1]. Ce jour-là je constate la présence de personnes handicapées motrices. Cette rencontre fut le déclencheur pour désapprendre l’apprentissage du Conservatoire[2], où on te met dans des circuits techniques, dans un contexte serré, étroit, qui n’inclue pas ces “gens-là”. On te guide à aller dans la performance de l’interprétation. Les personnes en situation de handicap moteur n’ont pas le poids du corps réparti de la même façon, possède une autre identité gestuelle. À cela s’ajoute parfois des éléments autour du fauteuil et les inévitables questions : Ton fauteuil, est-ce toi ou l’objet sur lequel tu es posé ? Si je touche à ton fauteuil, est-ce que je touche à ton intégrité ?
En fin de stage, j’avais beaucoup de chose à donner. Il y a avait eu un “dévérouillage”. Ce stage prenait véritablement en compte des personnes qui sont généralement mise à l’écart par la danse : cet art n’est pas une parade, depuis que l’être humain pense au sacré, l’homme danse. Mais depuis que l’homme en a fait une parade, certain se sont retrouvés à l’écart, parce qu’ils n’étaient pas “jolis”, ou boîtaient ou étaient “invalides”.
Ensuite je suis sollicité par la Comédie de Valence (Centre Dramatique National) et le Centre de Médecine Physique et de Réadaptation Fonctionnel “Les Baumes”, par l’intermédiaire du dispositif “Culture à l’hôpital”. Des règles du jeu interressante : ne pas faire de l’art-thérapie, ne pas faire de l’animation, ne pas faire le clown d’hôpital. C’est là que je rencontre Jocelyne Pleinet, psychologue, qui s’investit rapidement dans la démarche en tant que participante : pour se préserver de l’art thérapie, les patients et les intervenants sont intégrés à l’atelier. Des liens sont crées avec des artistes du spectacle vivant dans l’idée de sortir des murs, notamment avec l’aide de Helene Léchenard, aide-soignante et responsable de l’animation culturelle au “Centre les Baumes”. L’association “Amalgame”, en lien avec le public mais affranchis du cadre hospitalier contraignant, verra le jour quelques temps plus tard. En parallèle à un travail d’exploration et de création artistique, l’association organise un lieu resource Art-Culture-Handicap au “Centre les Baumes”, à Valence.
À partir de là se développent d’autres actions : residences artistiques, stages de danse visant à “métisser” deux disciplines (musique, vidéo, écriture, chant…), conférences, parcours chorégraphique “CARAVAN’”, et le spectacle “MARGO”. Margo, comme Marguerite : c’est en lisant “Ecrire” de Marguerite Duras que née l’envie d’établir une réflexion sur l’écriture en rapport au mouvement. La création est conçue à quatre interprètes, accompagnée par le musicien Fabrice Bouillon – Laforest. Lors des représentations, des écrivains sont invités à s’installer autour de la scène. Après le spectacle, les écrivains lisent ou font lire leurs écrits autour d’un verre. L’idée est de percevoir comment est reçue une pièce chorégraphique interrogeant le lien entre les interprètes que sont le danseur et le spectateur.
Maintenant je veux rebondir sur une demarche créative inscrite dans la durée, aller vers une “petite forme avec beaucoup de fond”. Il y a une urgence à faire ce travail, on est en retard. Certaines personnes handicapées moteurs fréquentant l’association n’ont pas toute la vie devant eux, sont dans une urgence de dire et de créer. Je me sens porté par ça.
On parle de l’autonomie des personnes handicapée, mais on ne parle pas de l’autonomie de la pensée. Le corps est un moyen de penser. La danse contemporaine peut être le vecteur de mille et une façon d’aborder le corps : tous les courants, influences et discours y sont integrés. On a besoin de savoir que cette approche est possible pour tous. Le public peut ouvrir sa perception à autre chose que des danseurs jeunes, techniciens et bien portant. Le corps a son histoire et ses empreintes, et pourquoi ne pas la raconter par la danse ? Ce n’est pas un combat, ce n’est pas du militantisme. J’ai juste envie de poser des questions.»
Note:
[1] Adam Benjamin est l’un des fondateur de la Cie CanDoCo | Retour au texte
[2] Après le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, Sébastien Cormier travaille auprès de Nadège Macleay, Denis Plassard, Thomas Guerry et Adam Benjamin | Retour au texte
écrit par Joël Kérouanton
© Cassandre / Horschamp
1ère mise en ligne 20 novembre 2015
© Photos _ 1ère de couverture de Cassandre n° 68, hivers 2006, pp. 86-87.